Les trains n’ont pas été dessinés pour les grands d’aujourd’hui.

Quoiqu’il n’ait pas l’air d’aujourd’hui, dans son crâne dégarni et sa peau légèrement fripée. Ses fémurs font exactement la distance disponible entre ses hanches et le dossier du siège de devant. C’est sûrement pour cela qu’il se tient si droit.

 

Il n’a pas dû monter il y a longtemps. Il descendra bientôt. Il a gardé son écharpe de laine bleue et blanche, sur son gros blouson noir. Il est un passager de ce train, parmi les passagers de ce train.

 

Sauf que lui, dans ce train, il ne fait rien.

 

Seul son pouce gauche caresse doucement son pouce droit, niché dans ses mains croisées. Doucement. A peine. C’est tout. Rien d’autre.

 

Autour de lui, on lit, on discute, on rêvasse, on dort, on écoute de la musique, on tape frénétiquement sur un clavier, on écoute la conversation du voisin, on grignote des plaisirs inhabituels, on joue sur une console … une frénésie ouatée où chacun fait différemment la même chose que les autres : vivre la vie de train.

Cette vie où le temps fait une pause hors de l’espace. Où l’on s’autorise à prendre le temps de faire ce que l’on aimerait faire plus souvent. Dans ce lieu qui n’en est pas un puisque toujours en mouvement. Où à vouloir tuer le temps, souvent on le retrouve.

 

Et lui, il ne fait rien.

 

Il n’a pas ce masque intense de celui qui fait semblant de ne pas écouter, mais savoure la conversation des voisins. Quand les yeux font diversion en fixant un point inutile, alors que les oreilles sont lancées au cœur de la vie des autres. Il n’a pas non plus ce visage passionné des mal-élevés qui s’oublient et fixent sans pudeur les acteurs de ces saynètes voisines. Il n’écoute pas les voisins.

 

Il ne fixe pas non plus, par l’espace entre les 2 sièges, l’écran du passager de devant qui regarde enfin ce film … ou prépare une présentation confidentielle pour un client.

 

Il ne fait rien.

 

Étonnant le visage de quelqu’un qui ne fait rien. Vraiment rien. La peau du visage est lissée, comme assouvie. Comme si aucune pensée, aucun souci, aucune question ne venait assaillir le cerveau, qui n’a plus besoin alors d’allumer le froncement des sourcils, la crispation des mâchoires ou le resserrement des lèvres. La peau du visage est détendue comme si le cerveau était débranché.

 

Pourtant il n’a pas le regard vide de celui qui rêvasse, quand le corps est ici et que l’âme est là-bas. Il n’a pas les yeux vides de la plénitude d’un demain rêvé ou d’un hier bienheureux. Il n’a pas l’ombre du sourire qu’allume le cœur quand il nous transporte dans cette autre vie.

 

Il n’a pas non plus sur le visage l’intensité du relâchement de la méditation.

Il ne réfléchit pas. Il ne regarde pas. Il ne médite pas.

Il ne fait vraiment rien.

 

Je crois que je n’avais jamais vu ça. C’est indescriptible.

credit photo : LaFlyingVaca

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