Un croc de boucher dans un œil.
Une extraction de dent de sagesse sans anesthésie.
Une colique nephrétique.
Un coup de tronçonneuse dans la cuisse.
Le son du réveil a violé mon bonheur.
Avant que la sirène n’envahisse tout le cocon, les abdos se compriment, le corps se regroupe. L’épaule gauche se lance, les deux genoux remontent. Rotation réflexe pour faire face à l’ennemi.
Le coude droit se plante dans le matelas pendant que la main gauche écarte la couette.
Mais pas trop.
Sacrifice de la jambe droite qui s’offre au froid quand la gauche reste au chaud. Elle fait comme ces galets, gris et polis, qui pointillent les rivières sans pont.
Appuyé sur elle, le corps passe le torrent de vide qui sépare le lit du meuble où vagit le réveil. L’air vient mordre la peau du torse. Entre temps les yeux se sont ouverts sur la nuit. La chambre est cendre, le ciel à peine bleui.
Trois doigts pulvérisent le snooze.
Agacement quotidien face à cette ruse absurde qui, il y a 20 ans, a mis le réveil loin du lit. « pour s’obliger à se lever ».
Décennies de réveillée/levée/re-couchée.
Sans rallumer le cerveau, le corps est instantanément de retour sous la couette. Il se pose sur le flanc gauche. Dos à l’ennemi. Il tente d’oublier que ce n’est qu’une trêve.
Position fœtale, poignes crispées sur la douceur du lin, agrippées à l’épaisseur des plumes, jusqu’à l’enfoncer dans le menton. Respiration un peu trop courte.
Accélérer le réchauffement de l’habitacle. Reprogrammer l’hibernation.
Mais la conscience sait. La béatitude insouciante du sommeil n’est plus possible. Le réveil est à l’affût. Dans 9 mn le combat reprend.
Le corps tente l’ignorance, l’optimisme. La tête s’enfouit dans le moelleux de l’oreiller, le flanc droit s’offre à la caresse du poids de la couette. La peau du ventre se barbouille de l’air vicié redevenu chaud.
Mais dans les brumes, la conscience grimace, râloche, ronchonne. Probablement plus que 7 minutes, peut-être 6. Quasi un couloir de la mort.
Ça ferait moins mal de se lever maintenant. Digne. Responsable de sa vie. En puissance sur sa destinée.
Trop dur.
Encore 5 minutes de paix et de chaleur. Peut-être 4 …
…
…
Un croc de boucher dans un œil.
Une extraction de dent de sagesse sans anesthésie.
Une colique nephrétique.
Un coup de tronçonneuse dans la cuisse.
Le son du réveil a violé mon bonheur.
Avant que la sirène n’envahisse tout le cocon, [reprendre ligne 7]
Tous les matins de ma vie