Le feu de cheminée m’emmaillote de sa chaleur. Plus forte que l’hiver qui glace dehors. Le velours cramoisi du grand canapé est légèrement délavé par le temps.
A demi-allongée sur des coussins bien fermes, qui accueillent et qui maintiennent. Ne jamais bouger. Moment suspendu où la vie est parfaite.
Je suis tombée dans un livre.
Hier je l’avais trouvé « pas mal ». Alors j’y suis retournée en ce début d’après-midi.
Dans le silence complice d’une famille où chacun vit sa vie tout en restant ensemble, j’ai replongé. Pour compléter le cliché, le soleil a même décidé de s’inviter par les grandes fenêtres. Moment suspendu. Vie parfaite.
Doucement je ne suis plus.
Ce n’est plus l’hiver dehors, le canapé s’est envolé, ce n’est pas Noël ce soir. Je suis en 1943. Je suis chacun d’eux à leur tour. Je suis en mai, à Paris. Je combats.
Mais ça va. J’ai pas trop peur. Parce que même si je suis chacun d’eux, dans cette guerre atroce … mon corps, lui, sent toujours le grand canapé, le bruit du feu qui crépite. Un peu loin, un peu émoussé, mais prêt à me sauver. Comme un grand-père qui fait une sieste.
Pourtant. Soudain. Une large main glacée m’attrape le cœur et le broie. « Mais non. Non. Non. Non. »
Je ne veux pas que cela arrive. Je ne veux pas cette décision, cette horreur. Je refuse qu’elle existe. Ma cage thoracique s’ouvre plus mal, je respire petit. La colère commence à monter. Ma nuque se tend sur son appui-tête, mes pieds gigotent, ma gorge expulse sa rage « Nooooon !!!! ».
Remontée à la surface, je m’échoue sur le bord de mon livre.
« Fais chier ». Les bombes c’est mal. Les interrogatoires, les tortures, les atterrissages ratés, c’est mal. Mais je pouvais les vivre avec eux, c’était « juste la guerre ».
Par contre ça, non !
J’ai lâché, j’ai laissé tomber. Trop de colère, incapacité à accepter que cela ait été possible. Game over. Le joueur est éjecté.
Hagarde, déboussolée, démembrée, sur le grand canapé, je ne sais plus le temps, je ne sais plus le lieu. J’ai été éjectée de mon livre, parce que je n’ai pas supporté.
Parce que ma tête téléportée là-bas n’a pas accepté que cela soit arrivé en 1943. Mais surtout, surtout, mon corps, qui est resté ici lui, qui sait le confort, qui sait la paix de la maison, qui sait l’amour de Noël … mon corps m’a rappelé que cela arrive à cette minute, quelque part, à quelqu’un.
La deuxième guerre mondiale, ses horreurs et ses héros ne sont plus. Mais en ces jours de Noël, la lâcheté est en train de trahir des cœurs aimants, dans des dizaines de foyers. Et je n’y peux rien.
Et ça me fout en colère.
Un 24 décembre, quelque part où tout va bien