Attrapé par le bord de la narine gauche. Par ce petit renflement tout doux, là où le nez s’évase.
A peine l’odeur s’y est-elle accrochée que l’intérieur de mes paupières closes se peint en vert sombre.
Aussitôt, surgit le jaune liquide du beurre, qui cascade sur le monticule de brins verts. Quelques volutes de vapeur, pour rappeler de souffler avant de manger.
L’odeur des haricots de ma grand-mère vient de me tirer de ma sieste par le bout du nez.
Ne pas bouger. Laisser l’odeur envahir le reste du nez.
Ce midi, ma chérie nous fait des haricots verts frais. Léger frisson dans la nuque. Plaisir.
La tête calée dans les coussins, les pieds sur l’accoudoir, un rayon de soleil me chauffe le bras. La maisonnée bouge lentement pour protéger mon repos.
Alors mon corps immobile s’enfonce dans l’ici et le maintenant de ce canapé du dimanche, et l’odeur des haricots de ma grand-mère m’emporte dans sa cuisine.
La faïence bleue. Son tablier.
La grande table en formica dont le joint de plastique noir se craque. L’air de l’océan par la fenêtre.
Mes frères qui dévalent l’escalier. « Encore des haricots !? Nous on veut des patates ! »
Et le bruit de l’eau qui bout, non loin du canapé de ma sieste, devient l’eau des patates de mes petits frères, rassurés.
Entre deux mondes, entre deux vies, entre deux siècles. La même odeur.
Intensité du vert de cet arôme primaire. Puissance de la chlorophylle. Envie de pique-niquer dans l’herbe.
Je sens les bâtonnets craquer sous mes dents petites. On les aurait dit « al dente » si on avait su l’italien, dans la Bretagne de ma grand-mère.
Une image se superpose. La vieille du marché, derrière ses cageots.
Quand, à bout-portant, je suis ramené à mon canapé. Mes yeux s’ouvrent en panique.
Une affreuse odeur de frites vient de couvrir le vert. Mes petits-enfants ont encore gagné !
Un dimanche de juin, saison des haricots