Il pleure… comme il pleut …
Quelle est cette langueur …
Depuis 3 heures, mes yeux envoient des mails, mes neurones enregistrent. La ride de mes sourcils est plantée dans Excel. La pulpe de mon majeur droit voudrait se fendiller de tapoter tellement.
Epaules basses, avant-bras posés comme-on-nous-a-appris. Faut protéger les dos.
Pas de son, pas d’image.
Du jus de cerveau de mardi.
Mais ces mots sont venus à l’arrière de mon crâne.
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
CM2 ? 4ème ?
Rimbaud ? Peguy ? Apollinaire ?
Les vagues de ses mots sur le chant lancinant de l’eau m’extirpent d’intel 32.
Soudain je sais qu’il pleut.
L’angle de ma nuque s’ouvre de 30°. La fenêtre est mouchetée. Milliers de petites larmes d’un ciel que je néglige. Je ne l’avais pas regardé aujourd’hui.
Hier ?
Soudain je sens qu’il pleut.
Le frais de l’air sous la table. Mes pieds nus seraient dans l’eau. La peau du dessus rafraîchie. Le dessous colle à la chaleur du plancher. Une brume bleue remonte mes genoux.
Le bas du dos soudain frissonne.
Par la fenêtre entr’ouverte la pluie envoie son souffle.
Fermer la fenêtre ?
Pour avoir chaud ?
Perdre sa voix ?
Ô bruit
doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Enfin j’entends qu’il pleut.
Plus profond sur les toit, plus joyeux sur le sol.
C’est murmure et cascade. C’est tam-tam et piano.
Il pleure
dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit
doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Une grande fille de 12 ans sourie dessous mes rides. Elle se souvient des mots.
Elle a aimé ce texte dès sa première lecture. Alors il s’est niché, dans un coin de neurone.
Et quand le ciel se vide, il vient la visiter.
Elle s’évade de Excel, de « long-term », de conf-call. Où s’ébat si bien sa vieille.
Et la chanson des mot lui redit la terre mouillée des forêts, celle qui fait des paquets entre les doigts de pied. Et le vert du radis qui pointe sa première feuille, dans ce désert si jaune.
Les cheveux dégoulinants des balades de printemps, quand elle souffle très fort pour chasser cette goutte qui pend au bout du nez.
Les danses dans les orages de la saison des pluies.
Ses mots s’étaient nichés dans le cœur de son crâne, pour qu’elle n’oublie jamais qu’elle aime aussi la pluie.
Verlaine en Avril