
Il est trop gros. Il la gêne.
D’ailleurs, elle sentait bien qu’il était de plus en plus engoncé lui aussi. Qu’il avait envie de prendre ses aises, de se dégourdir les pattes. De prendre l’air, de prendre le large.
Mais chaque jour il s’empêtrait un peu plus, se réprimait, se comprimait, se compressait. Piégé.
Elle le savait étouffer.
Ce matin aux premières lueurs, c’est devenu insoutenable.
Elle a le cerveau vraiment trop gros pour sa boîte crânienne.
Comme un genou après un marathon, son cerveau a enflé.
« swollen » disent les anglais. Tuméfié.
Il a trop absorbé, broyé, démonté, essayé, encaissé, démêlé … sans jamais s’arrêter.
Alors il a gonflé, et s’est arrêté de penser. Ecœuré.
Erreur 404. Ecran noir dans l’unité centrale.
Noir.
Et, doucement, il a commencé à prendre plus de place dans sa tête. A l’intérieur de cette sphère rigide qui supporte la peau de son visage, le cuir de ses cheveux, qui enchâsse le doré de ses yeux. Le dedans de son minois dehors.
Pourtant elle se tient fière et brave, sa caboche. Forte de son puzzle d’os soudés qui n’ont pas prévu de bouger, malgré le froid et la pluie, les coups de tête et les gueules de bois.
Elle tiendra. Elle est chef après tout.
Mais son cerveau étouffe de trop inventer, dans cette tête qui essaie de ne jamais changer. La puissance du progrès contre la force de la survie.
Alors le cerveau pousse sur l’intérieur de la boîte crânienne. Et elle ne cèdera pas un pouce, consciente qu’elle joue sa vie. Leur vie.
Alors le cerveau presse sur ces grandes zones doucement concaves au-dessus des oreilles. Vain espoir d’élargir son espace vital.
Il appuie de toutes ses maigres forces, pot de terre contre pot de fer. Et elle sent les os solides, intègres, denses qui résistent presque sans effort.
Tétu, le cerveau cherche un adversaire plus à sa mesure, entre les os. Le maillon faible. Les sinus commencent à lui faire mal, juste au-dessus de la racine des sourcils.
« Serait-ce que mon cerveau essait de me sortir par les yeux ? ou juste de prendre l’air par la fenêtre de mon âme ? »
Ses sinus se compriment légèrement, mais ne cèdent pas. Elle contemple la pression, jaillie derrière les lacrymales, qui descend sur les côtés du nez, juste avant les narines. Mêmes ses tempes, entre os et chair, ressentent le combat qui se joue.
Mais rien ne sort, toujours cette compression.
Dans un ultime espoir, le cerveau tente la sortie des artistes : l’arrière du palais.
Il est tellement gros, tellement comprimé, qu’il prendrait n’importe quel centimètre cube disponible pour se dégourdir un peu les idées, pour reprendre du champ.
Elle sent ses amygdales plus lourdes, plus proches ; la glotte qui commence à frotter la langue ; le haut de la gorge plus petit.
Pas de sanglots coincés ou d’estomac trop plein, non. Juste un bout de cerveau qui s’est faufilé, qui prend la place du reste. Qui trouve enfin de la place …
Elle en a partout, du fond de la gorge jusqu’à l’avant du front, de la tempe gauche à la mâchoire droite. Son cerveau a pris ses aises, se prélasse, se détend, se répend.
Se repose.
Enfin.
S’endort.
Peut-être.
Elle peut enfin sourire.