Ils croisent de gauche à droite, de derrière à plus loin; en vélo rouge, écharpe beige. Valise rose, beaucoup à pied.
Beaucoup à pied.
C’est le rail d’Ouessant au coin de ton café.

Toi t’as posé tes fesses.
Quand elles ont convulsé au contact du métal, tes quadriceps ont fusé pour relever ton torse. 1 seconde de gainage.
T’as reposé tes miches jusqu’à ce que fonde la chaise au doux chaud de tes cuisses.
Les vapeurs de ton thé.

A gauche, café-clavier. A droite, croissant-écran.
Le poids de ton téléphone, qui fait l’avion dans ton blouson, te gratte un peu le pouce.
Alors t’inspire très fort, plante ton dos dans la chaise et baisse bien les épaules.

Essayer.

Tu ouvres fort tes yeux sur les verts, sur le ciel. Et tu fermes tes oreilles.
Tu deviens invisible.
Essayer.
T’as juré.

Il est beau ce cahier. Comment y a-t-elle pensé ?
« Depuis le temps que tu as envie d’écrire, … ». Tu ré-entends son sourire qui murmure au creux de tous ces gens, dans le roux de la lumière du feu, le bruit des papiers qu’on froisse.
Maladresse des mains qui disent merci. Pudeur et nudité.

Tu chasses les images de cette nuit canelle, reviens au froid du bleu, au blanc de la porcelaine, aux inconnus qui croisent.
A ce cahier.
Les esquisses florales de la couverture ocre tremblent des caprices de l’air. A côté, un stylo. L’écolier dedans toi se crispe de dictées.
Essayer.

D’abord ouvrir les pages. La reliure craque un peu.
Pas sur la première page … de la place pour plus tard.
Vieux réflexe de l’Homme, à la feuille tournée, tu caresses l’entre-page, pour que l’immensité de ces 2 pages blanches s’offre à toi en entier.

Surtout pas réfléchir.
Tu saisis le stylo. Arrache le capuchon. Pose la pointe sur le blanc. Laisse couler des mots.
« Surtout pas réfléchir. Laisse ta main écrire ! »
Ils t’avaient tous prévenu. Comme des digues à franchir.

Ton cerveau veut commander, ton égo contrôler.
Mais ta main va gagner. Tu peux tout lui confier.

Le corps dur du stylo creuse l’empire de son trône dans la pulpe de ton doigt. Sur la phalange haute de ton majeur droit, la cale de l’écolier se réveille très vite. Mais ton pouce tranquille maintient tout, sûr de lui.

Jusqu’au fond de ton corps tu sens la pointe qui s’enfonce dans le lit de la page. Et tes yeux qui la suivent pour lire juste à sa suite les mots qu’elle laisse là. Des secrets, juste pour toi.
Tu découvres, presque fier, et un peu étonné, la pelote des idées qui te trottaient par là. Tu regardes, joyeux, parfois un peu honteux la soupe des passions qui agitent tout ça.
Des mots, encore des mots, cicatrices éternelles de ce joli cahier. Secrets de toi à toi que te confie ta main.

Ton cerveau se rebelle « Mais ça n’a aucun sens. Oulala, mais c’est chiant ! »
Et ton égo s’affole « Et s’il lisait tout ça ?? »
Ta main répond « Vos gueules ! Ça vous regarde pas. »

Et les Hommes croisent autour. Poussettes, vélos, chaussettes.
Et ta main te raconte des histoires de ton cœur. Intime tête-à-tête.

Prendre le temps de s’écrire.

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