C’est beau un morceau de saumon cru!
Cela fait pourtant des années que j’en mange dès que je peux.
Et à chaque fois, la vue de cette chair unique m’émerveille.
L’orange du rose pour lequel l’Homme a dû créer un nom de couleur; la brillance aqueuse qui dit autant le rafraîchissement que la satiété; la fermeté élastique qui pourtant fondra sur ma langue.
Et le goût.
La Nature est un génie pluridisciplinaire !
Alors quand, ce matin, j’ai vu qu’après une éternité de pluie et de froid, l’été s’était invité sans prévenir, l’évidence s’est imposée à mes yeux comme à mes papilles : « saumon cru au soleil pour le dej’! »
C’est maintenant !
Je suis juste avant le festin.
Je savoure la minute avant le plaisir.
Ma nuque et mon dos frissonnent de la chaleur retrouvée, alors que j’admire la bête.
La peau argentée est tachetée de gris et noir. Elle brille au soleil, tendue et ferme.
Mes narines palpitent de l’odeur du sel, de l’Océan qui est si loin, des embruns que la bête a connus. Mes yeux remercient le dessinateur génial qui traça ses lignes blanches dans l’orange de la chair.
Ma bouche n’est plus que salive.
Je croque.
Doucement. Comme pour éviter de lui faire mal.
La chair résiste.
Un peu.
Puis elle cède, se donne à moi et s’offre par lamelles.
Les fines lignes de gras fondent instantanément pour laisser exploser la noisette des tranches de muscle.
Je mâche à peine, juste pour faire durer le plaisir. J’avale et le flot de saveurs dévale mon palais vers le creux de moi.
Je passe en mode extase.
Je suis seul au soleil avec mon saumon.
Il est parfait. Le ciel aussi.
J’ouvre une large gueule, vais chercher la prochaine bouchée.
Un gros morceau se détache. Je le gobe, seul témoin de ma voracité.
Un filet de salive me coule sur la babine gauche.
Tabernacle ! Qu’est-ce que c’est bon d’être un ours !