Corps à corps

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Debout dans ce hall, elle se tient droite, les deux mains sagement embrassées.

Elle ne bouge pas.

Son foulard noir entrave délicatement son visage, écrin d’un ovale parfait. La nuit qui l’habille de la tête au sol souligne le rose de ses lèvres closes.
Elle est sage.

Autour d’elle, les voyageurs aux chariots trop lourds slaloment entre les parents ou amis qui attendent. Etrange film que cet aéroport flambant neuf, où les personnages en noir et banc s’agitent dans un décor saturé de couleurs.
D’amples faucheuses corbeaux tractent des enfants fatigués, dans le sillage de seigneurs immaculés.
Sur des écrans géants, défilent des images paradisiaques et des publicités technicolor. Les magasins et restaurants appellent l’œil et les papilles.

Tout bouge, cherche, s’impatiente, avance, discute, guette.

Et elle, elle est figée. Elle le regarde.

A 1 m de son corps, il retire de l’argent d’un distributeur.
Longue tunique de blanc lacté, irréelle de perfection. Petit couvre-chef traditionnel, brodé de bleu ciel. Barbe courte, taillée à angle droit.
Le port est noble, le geste pointu. Il fixe l’écran du distributeur, la main tendue vers des billets qui apparaitront trop tôt.

On pourrait croire qu’il ne la connait pas. La rigidité de sa tunique et l’immobilité de son bras. La fixité de son regard et la raideur de sa nuque. Pouvoir croire qu’il ne la connait pas.

Mais le sourire qu’il mord dans ses joues, la joie qui irradie tout son visage hurlent à tous qu’il ne sait qu’elle.
Elle, qui ne bouge pas, qui l’illumine de son regard immense.
Elle ne cligne même pas des yeux. Assoiffée de son image.

Ils viennent de se retrouver. Ils n’ont pas le droit de se toucher, à peine de se parler.
Alors ils se sont figés.
Ils évitent de se regarder pour que les digues ne lâchent pas.

S’ils se touchent, ils se dévorent.

Maintenant, un mètre les sépare, la distance de la convenance, du respect et de la bienséance.
Un mètre d’une tension titanesque. Un mètre de joie, d’amour et de désir. Un mètre où semblent défiler les images des heures qui vont suivre, des heures à l’abri des regards.

Ils n’ont pas le droit de se toucher, alors ils font l’amour aux yeux de tous.

Un hall d’aéroport au Moyen-Orient

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