« Tu veux un gâteau ? »


En sourire à ta caisse. Tablier vert entre l’orange des clémentines et le brun translucide des dattes Medjoul. J’ai les bras chargés de couleurs et le nez plein d’odeurs.

Toi, mon doux maraîcher. Moi, ta cliente préférée.

Même en hiver, ton échoppe ressemble à une boîte de feutres. Des montagnes de fruits dans l’allée de gauche répondent aux montagnes de légumes de l’allée de droite.

Comme chaque semaine, je viens de parcourir le U pour confier à mon panier trop petit du vert, du blanc, du rouge, du brun, du jaune. Du lourd, du léger, du fragile, du rond.

Et j’arrive à ta caisse, la tête pleine des salades et autres compotées qui vont égayer ma semaine et celle de ma tribu.


Et là, toi…

Toi qui m’offre ton sourire depuis tant d’années, dans la chaleur du faubourg comme dans le froid de l’hiver; toi qui connais mes enfants, mes horaires, mes destinations de vacances, le menu de tous mes invités; toi à qui j’ai confié ma santé et les couleurs de ma cuisine.

Toi, tu me lances … « tu veux un gâteau ? »


Traitre.


Sur ton plateau, petits rectangles orangés. Inoffenssives pâtisseries.

Coiffée de fils dorés, la pistache pilée se prélasse dans son miel, voluptueuse. Les pointes d’épices font semblant de dormir, nonchalamment saupoudrées sur chaque petit rectangle sucré.


A la vue de ce plateau, je suis immédiatement transportée à quelques mètres de là, à « l’épicerie du Faubourg ». Un peu plus bas sur le même trottoir.

Là, un marchand phénicien offre tous les trésors de bouche des ports de la Méditerranée. Ses étales débordent de pâtisseries orientales, pains inconnus et fromages tout blancs. Les grenades conjuguent le houmous, le blanc de la feta flirte avec l’arc en ciel des sachets d’épices.


« Tu veux un gâteau ? » et immédiatement, toutes les douceurs de tous les pays du soleil dansent devant mes yeux, fondent entre mes dents.

Je ne connais pas leurs noms mais je sais leurs formes et je sens leurs goûts, leur texture, leur intimité.

Les petites boules de fils de soie blancs, qui fondent avant même d’atteindre la langue et tapissent le palais de fleur d’oranger.

Les feuilletés qui s’effritent, quand mes doigts les arrachent au miel qui les soude au plateau.

Les carrés, les losanges, les vertes, les dorées, les poudrées.

Elles dansent devant mes yeux, la salive envahit ma bouche.

Je regarde le plateau que me tend mon ancien ami. Je sais que cela va craquer, croquer, croustiller; qu’une fois la carapace de miel ouverte par mes dents, la pistache va me sauter au palais, le sucre me couler dans la gorge.


Evidement que je veux une de tes pâtisseries.


Et puis j’en voudrais encore, et j’en reprendrai une. Et puis j’irai en acheter, à l’épicerie du Faubourg. Et j’en mangerai tant.

Mais avec eux bien sûr.

Je me détesterai.

Et j’aurai le ventre lourd, et la peau irritée du sucre qui sature mon sang.

Comme hier quand j’ai défoncé la boîte de chocolats de Noël de ma collègue. Et je me jurerai de ne jamais recommencer.


« Non, merci. J’aime pas trop le miel. »


18 décembre, Père Noël en approche

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