Quelques oiseaux déchirent l’air mouillé. Il les sait tout petits, trop aigus pour être majestueux.

Gratitude muette à ces chevaliers courageux dans le silence lugubre.

Seuls les smacks de ses baskets sur l’asphalte mouillé osent se joindre aux bruits de la vie.

 

A la sortie du hameau, la brume caresse les champs de ses doigts frigorifiques. La route l’y mène tout droit. Il appuie un peu plus ses poings au fond de ses poches.

 

De loin, il avait aimé sa robe, caramel sur l’herbe jaune de son jardin. Pourtant, une fois à sa hauteur, il passe le regard droit.

 

Mais elle, sa tête se met à tourner. Sans bouger les épaules. Très, très, très, lentement. Jusque 90°.

L’exorciste.

 

Alors il l’a regardée. Et le noir de ses yeux ronds a transpercé les siens.

Il statufie. Serre un peu plus les poings. Tourne tout son corps vers elle. Campé dans ses baskets.

 

La longueur des cils et la douceur de l’amande ne peuvent rien contre la froideur de son regard. Des yeux qui sauraient tout, mais qui ne diraient rien. Aucun échange permis, aucune émotion. Venue d’un autre monde, planète sans sensations.

 

Ils se regardent. Cryogénisés, alors qu’un soleil blanc tente de souffler la brume.

Il oublie qu’il a froid. Toujours pas d’autre vie que les oiseaux qui luttent.

 

Pam !

Coup de feu, bruit de mort.

 

Sa cage thoracique se comprime et le ramène à sa route. Son diaphragme est monté. Il croit sentir la poudre juste derrière son oreille.

 

Silence. Même les oiseaux ont peur.

 

Mais elle n’a pas cillé, pas bougé, pas remué. Comme si elle savait que cela devait arriver. Elle continue à l’empoigner par les yeux.

 

Puis un chien aboie, loin. Alors les oiseaux reprennent leur combat de la vie contre le froid.

Mais toujours rien qui bouge. Pas elle. Pas lui. Pas le monde. Peut-être un peu de vent : il sent qu’une mèche lui caresse le front.

 

Ils se regardent.

 

Pam!

Deuxième coup de feu. Deuxième silence. Deuxième indifférence.

Serait-elle sourde ?

 

Alors elle passe sa langue sur ses lèvres. Doucement. Et elle l’oublie.

 

Elle secoue les oreilles. Allonge son encolure vers une touffe encore verte. A droite de son sabot.

 

Il se dit « pourquoi les vaches n’ont-elles pas peur des chasseurs ? »

Un matin de Berry
(c) Pixabay

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