Décoller le bout de ma langue de l’arrière de mes dents.

Pourtant je l’ai bu le cocktail magique, avant d’aller me coucher! Le doliprane/ citrate des « plus si jeunes » … Un verre à eau légèrement enneigé me l’a murmuré, rassurant, depuis la table de nuit.
Mon seul neurone éveillé répond du tac au tac « le problème, c’est pas que tu aies oublié ou pas celui-là. Le problème c’est que tu aies bu tous les autres ! ». Le lobe droit de mon cerveau tape des pieds d’applaudissements sur ma boîte crânienne. Cris muets de douleur.

Décoller ma langue de mon palais.
Qui n’est plus une langue mais une queue de castor râpeuse ; qui n’est plus un palais mais un vieux marais impaludé.

Pendant que ma tête me fait l’enfer, mes pieds emmènent mes bras collecter les verres ensucraillés sur les différentes scènes de crime. Daikiri et Mojito sur la table d’apéro. La bouteille de rhum n’a pas fait ce long trajet pour rien !
Dans la salle à manger, sur une table qui pensait accueillir un dîner, le rose d’un fond de Cosmo finit de tiédir, seul combattant identifiable sur le champ de bataille. Les autres n’auront pas d’épitaphe. Leurs couleurs et textures témoignent de leur caractère expérimental.
Une douzaine de bouteilles qui fait forêt autour des bols de pistaches me regarde avec reproches.

Flash: c’est bien du Get 27 que mes yeux ont vu ce matin, à côté du verre à dent ???

Des pieds nus continuent d’emmener mes mains dont la peau se craquelle. Lentement. Ne pas faire de bruit. Etre un fantôme.

De la table à la cuisine, de la cuisine à la table, de la table à la cuisine.

Cuisine. Source tellurique des énergies festives. Matrice originelle des soirées réussies. Etait-ce bien ma cuisine, hier soir, ce lieu de bruit et de corps?
Sur le blanc du plan de travail, des dizaines d’écorces de citrons verts macèrent dans un jus douteux. Soldats sacrifiés de la bataille d’hier.
Le petit carnet de recette de cocktails tente de sécher ses encres. Moleskine noire gorgée de vodka.

Ma langue est retournée faire le rémora sur mon palais.
Mon lobe gauche se réveille. Il n’a pas l’air content non plus, presse sur ma tempe. En asphyxie.

Un deuxième neurone se proclame survivant « Il est plus que temps de se mettre au travail maintenant! ».
Premier neurone répond « Peux pas. Table pas propre »

De la table à la cuisine, de la cuisine à la table. Les pieds nus, les mains sèches, la queue de castor.

Sur ma nuque, je sens le regard noir de l’ordinateur à travers la housse de sa sacoche. Ça fait longtemps qu’on aurait dû commencer notre tête-à-tête tous les deux.
Tel un parent divorcé, il compte les points de présence, me rappelle que c’est son tour. « La musique et le shaker ont eu plus que leur part. C’est pas juste! » grommelle-t-il dans ses circuits.

Deuxième neurone, complice de toujours, se met à hurler dans mon crâne écorché « On est le jour maintenant ! »
Cerveau répond qu’il n’est pas bien sûr. Yeux disent qu’ils veulent la nuit. Foie tente une négo.

Alors pour mettre fin à tout débat, le soleil envahit l’appartement. Il s’engouffre par la baie vitrée et vient tout rayer de blanc sur son passage. Plus aucun doute … on est le jour maintenant. C’est l’ordinateur qui a raison.

Je vais me recoucher.

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