« Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d’amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé! »
Son cœur retient sa respiration. Ses yeux se lèvent, ne voient plus rien. Elle écoute l’écho de ces mots qu’elle aimerait tellement savoir coudre.
La poitrine un peu plus pleine de cet effluve poétique, elle sourit d’être là. Ici. De faire ce qu’elle n’a jamais fait.
Vieux recueil de poésie alors qu’elle cherchait un roman. Cette couverture l’a appelé. Après tout … elle a le temps !
Elle repose les yeux.
Plus lentement.
« Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d’amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé ! »
Arthur Rimbaud chante les mains. Et ça réveille la peau des siennes.
D’abord celle du dessus, la peau qui s’offre aux yeux des autres. Elle la sent qui sent l’air sec.
Alors elle aussi regarde le parchemin qui couvre ses fidèles domestiques.
Que dit chacune de ces tâches ?
Notre soleil ou sa vieillesse ? Le temps qu’il fait ou le temps qui passe ?
Elle étire un peu les doigts. Apparaissent les ponts suspendus qui relient les phalanges ou poignet.
Le gros du milieu, les trois plus légers, et le rebelle, mécanicien du pouce.
Des tendons, des os ou bien des quoi ? Elle ne sait pas l’anatomie. Elle voit juste qu’ils ont l’air si fragiles, et pourtant n’ont jamais failli.
Au bout d’un presque siècle elle les remercie, d’avoir servi sans jamais rien réclamer.
« Ça doit s’appeler des tendons, pour avoir vécu si tendus ». Elle sourit de son jeu de mots, aimerait le raconter au garçon qui lui apporte son thé.
En travers des baguettes, des serpents. Bleu-violet, boursouflés. Ils rampent sous sa peau, immobiles, ils sont la vie puisqu’ils sont le sang.
Ses yeux remontent vers les ongles, passent les montagnes russes des articulations. Elle sent dans chacune de ses jointures les millions de flexions, les tonnes qu’elle a portées, les forêts de mains qu’elle a serrées.
Alors la pulpe sous les ongles s’anime. Il y a de la vie sous le carmin !
Elle sourit de sa coquetterie « Je mourrai le rouge à la main ! Loin du bronze de Paris insurgé. Je suis vieille, je suis de son siècle. Qu’auraient fait ces mains aux temps de Rimbaud ? ».
Autre temps, autre vie.
Et elle repense à ses mains à lui.
Le souvenir se pose sur sa peau fragile. La lourde paluche, les doigts en marteau. L’anneau de leur cœur, la couleur carton.
Elle est là, assise, seule.
Vieille et pimpante. Les yeux dans le vague, la pose élégante. Elle lit du Rimbaud sur un thé vert bio.
Ce que je vois.
Mais le fantôme qui vient de poser sa main dans le bas de son dos, elle seule le sait.