Faire « comme si ».
Comme s’ils ne me voyaient pas, comme si aucun ne me regardait, comme si leurs yeux n’étaient pas sur mes fesses, mon ventre, mes hanches, parfois sur mes épaules. J’espère sur mes chaussures.
Comme si juste je marchais pour aller quelque part… comme si cette allée n’était pas amputée, absurde, partielle.
Promenade hypocrite. Dans 20 m je m’arrête.
Et puis je reviendrai, avec les mêmes pas, sur la même passerelle, devant vos mêmes yeux, posés sur mes mêmes fesses. Ou bien sur mes talons.
Un aller. Un retour. Juste sur quelques mètres.
Le visage impassible, la bouche inanimée et les yeux en acier.
Marcher dans mes hauteurs, imposer une distance, nier votre existence. Un mât en guise de dos, planté dans la ceinture, épaules en barre de flèche.
Rigidité morbide sur des hanches qui chaloupent, des genoux en ressort.
Un pied dans l’axe de l’autre, la passerelle n’est pas large.
Être digne, marcher droit. Les yeux plantés au bout du quai, talon droit devant orteil gauche, j’avance sous vos regards.
A gauche, sur trois rangées, à droite sur trois rangés.
Certains osent chuchoter, d’autres sont venus seuls.
Certains ont des écrans, d’autres des feuilles de papier. Tous sont en suspension, entre avant et après, entre rêve et réel, nature ou bien culture.
Dans cette bulle de temps où l’on fait tous semblant.
Semblant que c’est normal, cette vie en suspension.
Semblant de ne pas se voir, de ne pas être nombreux, de ne pas être serrés. Semblant de ne pas me voir, cachée derrière mes fesses, tapie derrière mes yeux.
Et puis toi parmi eux.
Mes pieds ralentissent des hanches quand j’arrive à tes yeux. Iris en périscope dans mes pupilles figées, pour mieux te décrypter.
Mais faire comme si de rien ne sera jamais.
Ta tête pivote sans bouger. M’as-tu vue ou regardée ?
Comme moi je t’ai vu tout à l’heure, avant de commencer ?
Dernier des invités, tu parus, essoufflé, quand moi je cherchais l’air dont l’angoisse me privait.
Tu souris à l’hôtesse, j’ai pris ça pour un signe. Que j’allais y arriver…
Je reprends mon chemin, pas le droit de m’arrêter.
Tes yeux sur la suivante.
La voix du plafonnier nous dit dans un sourire le programme d’après, des mots de lieux magiques, des noms et des merci. Puis le même plafonnier le redit en anglais.
Je termine mon pas au bout de cette allée.
M’arrête derrière un survêtement. 3ème de la file. Croise les bras. M’appuie sur la carlingue.
Jamais assez de toilettes dans les avions !