Et maintenant comment je fais ??
Le Monde n’a pas commencé sa course. Et moi, j’ai faim !
Maman est partie loin … ou bien peut-être est-ce moi ? qui suis parti trop loin ?
En tout cas, j’ai faim !
Et maman n’est pas là …
Une brise bleue-glace me caresse les plumes du crâne. L’air de l’océan, ou plutôt l’Océan dans l’air, m’agrippe la peau des pattes. J’ai bien quelques copains qui pépient, mais personne pour m’aider à faire mon p’tit-déjeuner…
Je vais pas me nourrir du doux parfum des fleurs !!
Quoi qu’elles soient très jolies, ces petites bulles mauves et ces clochettes jaunes, dans l’herbe verte et grasse.
Si je jette mes yeux plus loin, les taches turquoise de l’océan reflètent les lacs bleus de notre ciel immense.
Immense et gris et blanc et bleu et noir.
Elle est belle mon île … vue du ciel comme du sol …
Merci maman de m’avoir fait naitre ici. Il y a longtemps déjà, peut-être bien 30 nuits …
Mais là, maintenant, j’ai faim !
Alors comment je fais ???
Le goût de terre du bord de la coquille commence à m’écœurer. Depuis tout ce temps que j’agrippe cet escargot du bout de mon bec, la boue a fondu dans ma salive. C’est pouacre et j’ai toujours rien mangé …
J’ai bien l’impression qu’il ne sortira jamais …
Désolé l’escargot, je comprends bien ta peur. Je sens mon cœur qui doute à l’idée de ta mort… mais parles-en au chat ! Il a bouffé mon frère hier…
Allez sors ! … s’il te plait …
Le monde se réveille. Le clap clap des chevaux qui tirent leur cariole, les mots rugueux des hommes qui découvrent ce jour, et le « thchip tchip » de mes cousins, un peu partout sur l’île.
Mais toujours pas maman …
Va falloir se débrouiller tout seul …
Bien planter mes serres dans la pierre grise et sèche.
Lever la tête très haut. Baisser la tête très vite. La coquille cogne un peu fort. L’escargot s’en cogne très fort.
Lever la tête plus haut. Baisser la tête plus vite. J’y arriverai jamais …
Soudain je vois grand-père, dans mes souvenirs de gosse …et comment lui faisait.
Grand tourniquet de cou, vers le bas, la gauche puis le haut puis la droite puis BAM !
La coquille a craqué. Yes !
Je re-tourniquette, plus vite, plus fort, plus grand. Re-BAM ! Re-crac.
Et puis encore un tour. Coquille cabossée, pas encore fissurée.
J’enfonce plus fort mes griffes, serre mon ventre, tend mon dos. Je repars pour un tour de cou, peut-être bien le dernier : bas, gauche, haut, droite … de toutes mes forces … BAAAAAAM
Choc herculéen. L’escargot rebondit, s’envole loin de ma pierre.
Ah si j’avais des bras …