Quand même … je dois bien admettre qu’il est là, ce bout de sourire qui m’étire les lèvres. J’ai beau essayer de le retenir, j’ai les pommettes qui tirent chaque coin de ma bouche, vers les oreilles … façon pinces-à-linge !
Et cette petite boule, juste sous le sternum.
J’ai la moitié de mon âge. Bouffée d’adolesence.
Et lui? Elles lui disent quoi ses pommettes ?
J’ose pas tourner la tête.
Mais je sens dans sa nuque qu’il ne regarde que moi, les yeux braqués ailleurs.
Nous marchons au même pas. Quelques centimètres séparent nos épaules. Champ magnétique.
Regarder les enfants. A quelques pas devant.
Profitez du silence. Est-on déjà si vrai ensemble que l’on n’a plus besoin de se déguiser dans des mots ?
Regarder les enfants.
Sa fille. Mon fils. Même âge, deux vies. C’est leur première rencontre. Pas si loin de la notre.
Les laisser nouer les fils de leurs vies qui s’approchent. Envie d’entendre des rires.
Et que me dira-t-il, après ? dans la voiture ? Aimera-t-il sa fille ? Le trouvera-t-il gentil ?
Je sens l’air tiède qui joue dans le duvet de mes bras.
Ecouter l’herbe sèche qui craque sous mes semelles. Laisser l’odeur de sa campagne envahir les poumons de mon corps. Me remplir de son monde.
La douzaine de mûres ne pèsent rien dans ma main. Ils veulent les mettre dans le yaourt, pour le goûter. Simplicité d’enfants. Leur premier trésor partagé. Ce sera le souvenir de leur première rencontre.
C’est délicat les mûres. C’est fragile et puissant.
Ai-je mis assez de délicatesse dans le tissage de cette journée ?
C’est beau aussi les mûres. Sous leurs grains ronds et lisses, ma peau sent le soleil dont ils se sont gorgés.
Réminiscences du soleil de l’été qui s’achève, en ce nouvel automne du monde … quand c’est peut-être un printemps de ma vie qui commence
« Putain, qu’est-ce qu’il est beau ! » Disent les voix des copains, dans ma tête adolescente …
Envie de le re-re-regarder.
J’ose pas tourner la tête.
Alors j’explore sa fille.
Ses épaules dorées lui viennent de son père. Carrées, solides, légères.
Et leur menton qui veut.
Je sais qu’il la regarde.
Nous marchons en silence. Nous marchons lentement. Pour faire durer ce temps, où les champs et le ciel nous disent d’oser aimer. Qu’il y a des nuages mais qu’il y a le vent, qu’il y a le bitume mais qu’il y a les fleurs.
Le clocher du village annonce le goûter.
Au bout du chemin, sa maison.
Au bout du chemin, notre maison ?