Le bout du nez tout froid. Les yeux qui perlent un peu. L’esquisse d’une virgule à chaque coin de chaque lèvre.

Dans ce matin d’hiver, tous les pèlerins sont beaux.

Elle qui étrenne ses échasses des soldes de la veille. L’étiquette sous la semelle clignote à chaque pas.
Eux qui se frottent le bonnet dans un dernier baiser. Ils se retrouvent ce soir, mais ce soir c’est si loin.
Elle dont les joues sont encore rouges de son jogging de l’aube. Son corps est élastique dans son étui lycra.
Lui qui lit déjà “les news”, slalomeur de trottoir.
Lui dont les chaussettes rouges sourient sous le costume.
Eux, qui semblent tous un peu fous à parler dans le vide. Un autre lieu dans chaque oreille.

Tous, un café à la main.

Le mien est en carton, couleurs de mondialisation.
Les leurs le sont souvent aussi. Ou alors rose fuchsia, en bambou recyclé. Ou encore chamarrés, flanqués d’un grand sourire ou d’une phrase énergique.
Mille couleurs, six tailles, une seule forme. Sur ce trottoir glacé, au bout d’une des manches sombres de chaque manteau d’hiver, un cylindre de chaleur.

Il est souvent cintré d’une bande assortie, pour protéger les doigts du brûlant du café. Toujours coiffé, ou de plastique-beurk ou de recyclé, pour garder la chaleur jusqu’à destination … et ne pas inonder la main de café chaud.

La main.

Tous les corps sont pressés, sont lancés, dodelinent. A chaque pas la tête monte puis redescend, l’épaule avance puis recule, la hanche se lève puis se rabaisse, le pied s’enroule puis se relance.
Mais la main ne bouge pas. Elle tient la position. Un vieux bobby anglais n’est pas plus impassible.

Les doigts pressent la ceinture.
La pulpe se gorge de chaleur quand les ongles piquent de froid.
Le gros muscle du pouce est raide d’immobilité.

Mais c’est sur le poignet que repose l’impossible. De lui dépend toute l’horizontalité. Il ajuste à chaque pas pour compenser les vagues.

En soutien, l’avant-bras et le biceps sont figés, légèrement ankylosés.
Le coude et l’épaule tiennent. Ils se languissent du temps où ils articulaient. Ce matin ils sont verrous. Ils espèrent que demain, ce sera l’autre main.

Une pince au bout d’une barre, chaque piéton a soumis un membre à son café.

Londres est une ville de Playmobil.

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