A droite, serviettes bleues et roses en oriflammes sur terrasses blanches. Elles sentiraient le sel et la crème solaire.

Devant, l’hirondelle vole bas sous le poids du ciel trop chaud.

A gauche, la mousse des vagues et le rosé du sable, entre la lande arasée et l’horizon horizontal.

Absurde, la colonne vertigineuse d’une fleur d’Aloès.
Infinité jaillie d’une tige-tronc auburn, narguant la soumission des arbustes prostrés.
Elle est tellement haute dans le sable tellement bas, on croit la voir pousser.

Un mât de tant de mètres, puis les touffes en étages. Des vertes, parfois sapin, des jaunes presqu’amande.
Ce sont sûrement des marches pour un Jacques intrépide. Il chercherait le ciel, quand d’autres cherchent l’ombre.

Le ciel est immense, l’Océan éternel. Le soleil gagnera, l’Aloès est brandi. Les Hommes font la sieste.
Je sens pousser mes ongles.

Comme une légère pression à la racine de mes kératines, une envie de jaillir ou d’aller voir plus loin.
Mes avant-bras soulèvent mes poignets.
Mes yeux quittent le ciel, descendent vers mes mains. Rien à signaler.

Il n’est rien de nouveau, ce ne sont que mes ongles. Qui avancent avec moi depuis des décennies.

Et pourtant je souris. On les dirait plus beaux.
La douceur de leur rose laisse deviner une chair de mollet de bébé. Le nacre de leur frange éclate d’un blanc propre, épais, robuste.
Est-ce le brun de mes doigts, au bout du brun des mains qui exalte leurs couleurs ?

Une palpitation douce, là où ils prennent source me dit que ce sont bien mes ongles, qui se sentent si gaillards. Au point que leur avenir, caché dessous ma peau voudrait déjà sortir.
Et c’est pour ça qu’ils poussent.Ils sentent dehors l’iode, la lumière et le vent. La chaleur sur ma peau et l’air dans mes poumons, la pulpe de mes doigts et mes yeux étrécis leur ont dit l’Océan, le sable sur les pages.

Alors ils poussent pour voir, pour sentir, rencontrer.
Certains plus fort que d’autres, pas tous au même rythme.
Le pouce de ma main droite monte à l’assaut. L’index de la gauche, tel un bélier, mène une charge aveugle pour le majeur et l’annulaire qui suivent vaillamment. Les deux auriculaires, jumeaux en symétrie, palpitent sous la conquête de leurs ongles goélettes.

Ma tête quand même s’étonne. Qui sent pousser ses ongles ? Elle demande à mes pieds.
Ils sont doucement échoués sur le bois de la terrasse. Elle les a réveillés.
Ils grognent, agitent des orteils, vérifient.
Non. Rien de particulier. Pas d’ongle vindicatif.
Un reste de peinture peut-être, vestige des conventions de ce monde si loin, où les ongles vont peints quand ils sont sans tissu.
Rendormissement des pieds.

Je remonte à mes mains. Les racines repicotent. C’est même toute la pulpe qui chatouille sous l’envie.
Je sens un appel d’air, sous le blanc de la frange.
Mais attention mes ongles, si vous poussez trop vite, si la racine s’excite, je sacrifie la pointe.
Ceux qui auront connu les mois de mai, d’avril, peut-être de février, seront éliminés. Pour faire place au nouveau, au fort, au juvénile.

Et puis une petite voix se glisse dans ma tête « et après tout, pourquoi ? ». Pas grand-chose à saisir, pas de touches à frapper. Personne qui peut juger, pas de bas à filer. Pas beaucoup plus à faire qu’une page à tourner ou de l’eau à pousser.

Mes mains aussi sont en vacances. Laisser mes ongles en paix.

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