Tendre les doigts. Lever les genoux. Regarder loin. Forcer l’allure.

Enième course sur la brochette des joggings du soleil. Muscles désincarcérés, souffle redéployé, corps remodelé. Je suis « en forme ». Je cours, je fuse, je vole. Bottes de 7 lieues.

Regarder loin. Lever les genoux. Lancer le pied. Forcer un peu.

Fendu par ma vitesse, l’air des montagnes s’accroche dans le duvet de mes bras. Mes oreilles surveillent la turbine puissante de mon souffle. Mes yeux dirigent mes pieds aveugles entre les pierres, me maintiennent au milieu du chemin, m’écartent des orties, des ronces, des mûres.

Cascade de salive dans les gencives arrière.

Des mûres.

Comme quand j’étais petite avec mon seau blanc. Comme les confitures de Mamie. Comme dans les yaourts.

Regarder loin. Lever les genoux. Regarder loin.

Ma tête se pose encore la question, que mon pouce et mon index pressent déjà une perle noire. Je la pose sur ma langue, presse le jus contre mon palais. Un vin d’enfant me glisse derrière la glotte. Comme un bonbon fondu de soleil et de rires.
Jouer du bout de la langue avec les petits grains, cachés dans les morceaux de peau.

Deuxième petit amas de bulles.
Je croque, mais pas trop fort. Boire le jus sans se coincer les grains dans les creux des dents.
Le sucre se mêle au sel mouillé de mes lèvres.

Le souffle encore haut dans la poitrine, je scanne tout le buisson, et ceux d’avant et ceux d’après. Un mur de mûres bien mûres … rien que pour moi !

Je prends le rythme. Une, puis deux, puis 17. Langue, jus, grains. Langue, jus, grains.

Certaines sont plus acides, n’ont pas encore bu assez de soleil. D’autres sont presque blettes de m’avoir trop attendue. Certaines virent confiture dans mes doigts. D’autres ont le cuir épais, ont cru qu’elles survivraient.

Encore une. C’est la dernière. Et puis celle-là, elle est trop belle. Attends, j’arrive ! Juste une dernière.

Faut y retourner ! Lever les genoux… Regarder loin… Courir vite, courir longtemps, faire un temps, être en forme, se dépasser, être fière.

OK, celle-là et puis j’arrête. Bon, encore 3 et je m’y remets.

J’ai repris ma course, les dents emballées dans des petits bouts de peau noire. L’été indien tapisse encore ma bouche. Ne plus s’arrêter. Lever les genoux.

Je reviendrais cet après-midi avec les autres. On fera des confitures. Et des yaourts à la mûre.

Sourire.

Je dirai rien à personne … et je reviens courir demain.

Un 24 août en Auvergne

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


La période de vérification reCAPTCHA a expiré. Veuillez recharger la page.