Seule ?
Je fige.

Dans mon dos, le choc feutré de la première porte qui se ferme. Vite et seule – elle aussi.
Et puis silence.
Et noir.

D’habitude je suis 5 ou même 12.
Et les deux portes baillent en cadence. Avalent et déversent. En goulée continue.
D’habitude je me fais anguille entre eux. Les hanches souples pour ne pas être vue, les épaules de profil pour ne pas être touchée. Slalomeuse invisible, je mets mon corps dans les creux pour glisser plus vite qu’eux.

Et prendre les meilleures places.

D’habitude je fais taire une légère pointe de remord dans le haut du ventricule gauche. Ce serait mal d’aller plus vite que le flux.
Vraiment très très légère, la pointe! A peine la voix d’une vieille qui chevrote les bonnes manières. Frustrée d’être trop vieille pour se faufiler aussi.

Aujourd’hui … seule.
1 mètre derrière, la porte noire. Fermée
A gauche le mur noir. A droite le mur noir. Dessus, plafond nuit. Mes yeux dans le gris.
Devant … une porte noire. Fermée.

J’ai encore le pied droit planté dans la moquette grise, rase, sèche, dure ; et le gauche près à s’envoler pour continuer le pas. Quand je réalise que je suis seule.
Alors tout mon corps se fige. Mes pieds se rejoignent, solidaires dans la trouille.

A gauche de la porte, le rouge danger de l’extincteur attise mon angoisse. Lire les signes.
Une voix dans mon crâne « j’le savais ».
Une autre essaie de rire « et alors ? c’est pas grave ! Au pire un peu trop de sang. Au mieux une bonne surprise. »

Pour la première fois des dizaines de fois où j’ai passé le sas, je m’arrête. Seule. Dans mes deux pieds. Plantée dans la moquette trop sèche.
Et je me laisse envahir de noir, de silence et d’exil.

Pour la première fois des dizaines de fois où j’ai passé le sas, je ne me précipite pas. Je ne me faufile pas.

Personne n’a eu envie de faire ça aujourd’hui.

Je lève le bras droit très lentement. Regarde la longue barre de métal qui servira de poignée. Tend les doigts. Ferme la main.
Clac d’une bague sur l’acier chirurgical.
Froid morbide de la matière inerte.

Inspirer. Expirer. Inspirer.
Quel sera mon vaisseau cette fois-ci ?
10 rangs pour 3 naufragées ? 2 étages et une foule en délire ?

Inspirer. Expirer. Tirer la poignée.
Découvrir la salle.
C’est la première fois que je vais au ciné un mardi à 15h !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


La période de vérification reCAPTCHA a expiré. Veuillez recharger la page.