Recroquevillée derrière mes yeux, en lutte dans le bulbe de mon crâne. Combat au corps à corps pour enfin le faire taire.
Car depuis ce matin, il chante dans ma tête.
Quoi que je fasse, douche, brosse à dent, feu rouge, cadenas … il me coupe la pensée de sa mélodie hypnotique.
Où que je sois, chambre, cuisine, escalier, trottoir … il a coupé le son du monde et pris d’assaut ma scène.
Je le sens sautiller, agrippé à son micro, piétinant mes neurones, jouissant de mon impuissance. Un tout petit bonhomme. Hilare. Inexpugnable.
D’ailleurs, c’est même pas une chanson ! Seulement des bribes de phrases. Juste quelques mots rimés. Des boucles de chewing-gums, entrecoupés de vides.
« huuuum …. deu ssapphaaarteunirrr »
Pourtant, chaque fois qu’un neurone, dans un spasme, émet du rationnel, de l’intéressant, du pertinent, il en broie le signal. Seigneur absolu de mon crâne, il écrase toute idée de son chapelet de sons, toujours les mêmes. Scandés sur ce rythme hypnotique, toujours le même.
J’héberge dans ma tête un poisson rouge chanteur. Sysiphe amnésique, il redécouvre son bocal avec émerveillement. Alors à chaque tour, il chante sa joie. Depuis toujours. Pour toujours. Ravi.
Envie de m’arracher le cerveau avec les ongles.
Soudain, un souci monte à l’assaut du cerveau gauche. Il se sait costaud. Habitué du terrain, il plante son piolet dans un bout de cervelle. Conquérant expérimenté, il se hisse dans un râle, se rétablit. L’autre ne l’a pas vu. Immédiatement, la zone de matière grise se soumet au colosse.
Il est un grommellement, un souffle plus qu’un discours. Puis de murmure il se fait mots, puis phrases, raisonnements. Questions, idées, options. Puis hypothèses, scénarios, plaintes.
Reproches, apitoiements. Je n’entends plus que lui. Il a conquis mon crâne.
Sa poigne m’a emportée, ma tête est peinte en gris. Je suis dans mon souci, comme on est aux Enfers. Pas de porte de sortie.
«saaaaan z’êtreu dé pen dants…. huuuum …. deu sspphaaarteunir »
Il n’était qu’assomé.
Encore un peu hagard, il dégaine sa rengaine. D’abord en sourdine, en léger fond sonore de mon ruminement apocalyptique. Il reprend mes esprits. De moins en moins pas fort, puis de plus en plus fort. Et la chanson prend le dessus sur les raisons. Souci dévisse, tombe dans les abîmes. Le petit bonhomme au micro a gagné.
« huuuumm … ssssssaaaaannnnnzaitreudépendan »
M’arracher le cerveau. Avec les ongles.
Je préférais Souci.
Un matin, une chanson dans la tête