Tube, barre, tige.
Facile.
Montant de lit de pensionnat, mât de coque de noix, tringle à rideaux chez mamie, barreau de prison dans un film de corsaire.
Mieux.
Arbre à câmes en tête
Sourire pour ce mot qui m’habite et que je ne connais pas.
Autour c’est blanc. Du bout de mon nez au bout du monde.
Dedans c’est vide. Plein de rien. Rien à faire, rien à dire, rien à penser.
Être assise.
Télésiège dans un nuage.
Regarder les mots qui volent pour dire la barre qui me scie le dos. La tige qui m’emporte vers les cimes. Le tube qui me garde dans les airs.
Les lire en anthracite sur le blanc de l’air.
Contempler les mots débusqués par un cerveau qui n’a pas compris que rien c’est bien.
Puis prendre le temps de sentir mes pieds posés sur peu. Sentir la couche de glace qui se pose sur mes cuisses.
Etre là, seule et faire rien.
Immobile dans la nacelle, ma colonne vertébrale fait crucifix avec ce tube, cette barre, cette tige.
Entre le monde et moi, toutes les couches d’un oignon technologico-fibreux.
Entre moi et son bruit, l’oreiller de la neige, le ronflement du vent, le cocon de mon casque.
Pas bouger. Lever un peu les épaules pour bloquer le vent des cîmes. Rester dans mon chaud, au creux de mon silence, piqueté de ces mots.
« Excusez-moi, vous savez si les marmottes sont ouvertes ? »
Zébrure dans mon cerveau. Absurdité de la phrase.
Mon cou pivote à peine, dans sa gangue de laine. Un autre bibendum, juché d’un autre casque, fermé d’un rideau noir, tout constellé de blanc.
« est-ce que les marmottes sont ouvertes ? » … dans un monde normal, cette phrase n’a aucun sens. Ou alors sanguinaire.
« Je crois … »
A travers les flocons, le vent et mon plastique, d’autres mots ont percuté mon casque, ce coup-ci par la droite.
Forcément lentement, mon cou vire de bord, aussi loin que permettent cols, écharpes et cache-nez.
Est-ce possible une telle bouche ? sur la face d’une mouche ?
Sans col et sans cache-nez, elle s’offre au froid du monde. Lourde, gorgée, agile, offerte. Au-delà de pulpeuse.
Elle danse, virevolte et mute. Lèvres pleines et puissantes, qui ne savent que les pêches, les fraises, les abricots. C’est une bouche d’été et de robe qui flotte.
Au-dessus de la bouche, les yeux jaunes de la mouche reflètent les hauteurs. Au-dessous de la bouche, le rouge de la combi dit le froid, la godille.
Mais la bouche les ignore, continue de danser. Refuse expressément qu’il lui manque 30 degrés. Elle n’a pas peur du froid, refuse de se cacher. Ne sait vivre que nue. Tant pis si ça lui pique.
Arrogante, insolente. Elle n’est pas à sa place dans cette face masquée, sur ces hauteurs glacées, dans le silence des souffles.
« Marmottes … Chaberton … Myrtilles …. l’année dernière … demain » le moulin est lancé. Trop de mots, trop de bruits.
Finit par m’énerver.
Je repivote du cou, relève les épaules.
Appelle le froid, le vent. Qu’ils me ferment cette bouche !