Un an qu’ils nous ont quittés …

Le bleu du ciel chatouille le blanc meringué de l’immeuble d’en face. Dans un flash, je sens sur mes joues le froid de l’air, dans mes cheveux le vent glacé. Et la chaleur dans mes gants quand je fini l’ascension vers la place de Clichy. Envie de pédaler plus fort.

Perdu!

On a volé les Velib’. Retour au métro.

Et dans le métro, sous terre parmi les hommes, loin de la liberté de l’air et des beautés de ma ville, je me repasserai le film de mes kifs à Vélib’.

On s’est rencontré le 15 juillet 2007. Ce matin là, il me dit « il parait qu’ils ont ouvert un système de vélos en libre service dans tout Paris. On se fait une balade? ». La grande, 2 ans, sur son dos à lui. Le petit, encore au chaud dans mon ventre. Et roule! découverte de Paris à vélo, en famille. Kif n°1.

Et rapidement Vélib’ a changé ma vie, Vélib’ a changé Paris.

Kif n°2 : Vélo/ Boulot/ Dodo. D’abord gagner 10 mn sur la trajet en faisant un multi-modal Vélib’-métro, plutôt que de changer de lignes et faire des détours. Et puis un jour d’été, un jour où les matins sont plus longs, pousser le Vélib’ un peu plus loin. Et découvrir que c’est pas si loin, par les airs, le boulot. Et laisser tomber le métro. Au lieu d’1h30 de métro zombie aller-retour, vivre 1h dehors, chaque jour de labeur. C’est 7h de vie supplémentaire par semaine!

Depuis 9 ans, tous les matins, mes yeux boivent le ciel du Paris de ce jour, mes joues savent la température, mes jambes me rappellent que je suis vivante. Et quand j’arrive, ma tête fourmille d’idées! Depuis 9 ans, tous les soirs, je fais une pause, seule avec mon vélo, je vidange le jus de cerveau, je décrasse les tensions, je prend le temps de rentrer vraiment.

Kif n°3 : le Vélib’ourré. C’est interdit. C’est mal. C’est dangereux. C’est dangereux. C’est idiot. C’est la dernière fois.

Sortir d’un bar, d’une boite, d’une soirée. Quand on en a envie, et plus parce qu’il reste des taxis. C’était avant Uber et Marcel, il n’y avait pas de taxi à Paris entre 1h30 et 3h. On marchait, des heures. Ou on rentrait tôt.

Et puis Vélib’ est venu. Et on a jeté nos montres. On est bien tombé 1 fois ou 2 au feu rouge. On a levé la tête et serré fort le guidon devant les policiers. Mais quand même, ça nous faisait un peu dessaoulé! Paris, la nuit, sur un Vélib’. Après la fumée, après le bruit. Vivre 2 fois.

Kif n°4 : Paris à vélo. C’était pas possible.

En 2006, Paris était une ville de voiture, de métro et de bus. Le vélo, trop dangereux! En quelques années, les automobilistes et les chauffeurs de bus ont appris, les pistes cyclables ont poussé, les parkings à vélo dégueulent. Paris se vit à vélo.

J’avais une carte du métro dans le tête. Chez nous-chez eux, 10 stations direct et marcher 7 mn. Le dentiste, marcher jusqu’à Répu puis 5 stations. Les vacances par gare de Lyon, changer à Châtelet. Tes parents … trop long.

Sur un vélo, j’ai découvert que les Halles sont à côté du Louvre, que Porte d’Asnières c’est les Batignolles, que Paris est tout petit. J’allais de mini-quartiers en mini-quartiers, maintenant j’habite une vraie jolie cité.

Arriver à Concorde, longer les quais, entrer dans la cour du Louvre, passer la pyramide, la nuit.

Rentrer de l’autre rive, traverser le pont Saint-Michel. A droite c’est beau, à gauche c’est grandiose. Le ciel de Paris, à chaque fois une surprise. Monter le son.

Kif n°5 : en famille

Rentrer avec le petit. On est trop près pour prendre le métro mais ça va être long à pied. Passer devant une station, parce qu’il y en a partout, regretter que ses jambes soient si petites, ses bras si mignons, et se dire « et si … »

L’enfant sur le bout de la selle, 1 pied sur le cadre, solide, 1 pied sur l’attache Vélib’. Il est lové dans les jambes et dans les bras de son papa. Ou de sa maman. Chacun de nous pédale en crapeau, la tête du minot posée sur l’épaule. C’est interdit. C’est dangereux. C’est de la vie!

D’ailleurs, quand on voit la police au bout de la rue piétonne, on fait descendre les enfants. Et on rit en leur expliquant maladroitement qu’il fait toujours respecter la loi. Mais ça dépend.

Et un jour, une de nos pistes cyclables croise une manifestation joyeuse qui hurle « c’est la VéloRution » pour promouvoir le vélo à Paris. C’est tellement bon de brailler à vélo, tous les 4, dans nos rues.

Enfin prendre un abonnement Vélib’ à la grande. Ses jambes ont atteint l’âge de la liberté. C’est peut-être ça le début de l’adolescence pour une parisienne …

Kif n°6: se tenir la main en amoureux, même si ça fait parfois râler les voitures

Kif n°7 : dépasser les voitures dans les embouteillages, derrière les camions poubelles, coincées derrière les bus

Kif n°8: enfourcher un Vélib’, mettre de la musique qui crie fort, se défouler sur les pédales avec Paris en carte postale

Kif n°9: enfourcher un Vélib’, mettre de la musique qui dit du doux, pédaler au hasard des rues après avoir …

Kif n°10: voir ce que les autres arrivent à transporter avec un Vélib’, et se rappeler qu’on s’en est servi de chariot pour ramener les nouvelles chaises

Vélib’ avait changé Paris, Vélib’ avait changé ma vie.

Tu nous a quitté trop jeune. J’aurai la peau de tes assassins.

Un matin de colère, en octobre, 10 mois après …