Le commerçant auvergnat

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Il était cette fois presqu’un cliché.

Il y a plus d’un demi-siècle, un demi-orphelin, au creux d’une vallée auvergnate, monte un négoce de vin. Avec sa femme. Petit commerce se développera, il y aura même un vin à son nom. Tous les restaurateurs des départements à la ronde le reconnaîtront, lui, son vin, ses gars et son camion. Il ne sera jamais riche d’argent, mais sa femme l’aimera jusqu’à son dernier jour à elle, longtemps après son départ à lui. Ses enfants feront de belles études. Ses petits-enfants sont ingénieurs, directeurs, en capitales ou bien ailleurs.

Semi-orphelin, il a trouvé l’amour. Avec son amour et sa force il a monté un négoce de vin. Avec ça, il a mis un grand coup de pied au cul à sa descendance, qui s’est retrouvée sur orbite, parmi les élites de leurs chemins respectifs.

Un cliché.

Et puis 15 ans après sa mort, un vieux monsieur sonne à sa porte. Il espérait trouver les enfants, il y trouve les petits-enfants, et les arrières. Il ne reste pas,  « juste 5 mn ». Quand même il s’assoit. Et il raconte. « On n’a jamais lâché ».

Il a travaillé avec le patron depuis tout minot, jusqu’à la fin. Il conduisait le camion. Il raconte la montagne, le froid, la neige, « les autres faisaient demi-tour. Nous, on n’a jamais lâché. » Il raconte la cabine du Renault, la taille des roues, la mécanique.

Encore des clichés ? sauf que là non. Quand il raconte la boue, la nuit ou la chaleur des routes d’Auvergne, il ne fait pas un cours d’histoire, il ne parle plus du patron. Il se dit, à lui, sa fierté d’avoir bien travaillé, son bonheur apaisé d’avoir eu une place dans le grand tourbillon. Et de l’avoir bien tenue. Il ne parle plus du négoce, mais de sa bonne vie, et de sa femme, et de sa fille, qui est dans la banque, là-bas à Lyon. Et cette bonne vie, c’est aussi un peu le patron qui l’a permise. Et la femme du patron, à qui il a rendu visite toutes les semaines, jusqu’à la dernière semaine.

Au siècle dernier, créer un commerce avec sa femme, à partir de pas grand-chose, ça se faisait. En faire vivre sa famille, leur prendre un ticket pour l’ascenceur social, c’était possible.

Mais diriger une entreprise où les employés sont fiers de leur travail, où ils ne « lâchent rien » pas par peur du patron mais pour eux-même, pour les collègues, c’était peut-être pas nécessaire.

Il n’était pas obligé le patron, aucun gourou du leadership ne lui avait expliqué « l’engagement des collaborateurs qui créé la performance ». D’aucuns disent même qu’ils auraient pu être plus riches d’argent s’ils avaient été moins généreux. Mais peut-être qu’un vieux monsieur n’aurait pas raconté les routes et la neige, sa fierté et sa bonne vie à leurs petits-enfants. Qu’il n’aurait pas eu les yeux mouillés quand il parlait de son travail.

Dis grand-père, comment t’as fait ?

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