Le café vibre à l’intérieur mais la terrasse est vide. Je tente !

Mes fesses cristallisent quand elles rencontrent le métal gelé de la chaise, mes jambes s’empilent, mes mains s’enlacent. Absurde espoir de trouver un peu de chaleur dans son jumeau.

L’air mouillé du matin semble sortir de sa douche. Il dit le propre mais avive le froid.

  Cette nuit, l’été est parti.

Je réalise les premiers bonnets. Sous un ciel bleu tendre, les blousons ont repris du service. Il reste bien quelques débardeurs intrépides, mais les écharpes fanfaronnent. Une paire de chevilles pédalent sur des baskets ananas. Mais les premiers gants. Tiens … un short ?? Ils régnaient en maître encore hier. Il est incongru ce matin.

  Tenir.

Parce que je sais que, chaque jour un peu plus tard, dans l’axe de la rue qui s’ouvre devant cette terrasse, le soleil vient se baigner. Alors je l’attends.

Tenir.

Un autre aventurier s’installe à ma gauche. Lui aussi doit savoir le secret du soleil de cette rue. Je suis Zia, il sera Esteban.

Je brûle mes mains à la céramique blanche de mon café. Sur le trottoir, la dame en rouge rentre ses mains dans ses manches. Derrière nous, les tasses s’entrechoquent dans la chaleur du café clos.

Soudain, fidèle à la prophétie, la façade de droite s’enflamme. Les fenêtres du quatrième étage brillent à brûler les yeux. Les premières taches de soleil apparaissent sur le trottoir plus bas.  La lumière entame sa cavalcade. Tel un phare qui passe au ralenti, le clair mange peu à peu le sombre.

A gauche, coté ombre, les tables de terrasses sont encore parfaitement alignées. Leur métal froid semble pétrifié dans la bise du matin. A droite, coté soleil, les tabourets tressés prennent vie autour des tables. De leur côté de la rue, le monde a commencé.

Et moi. Sur mon île. Au milieu. J’attends la lumière. Encore 3 mètres … et combien de minutes? Transie de froid dans le matin bleu, je caresse des yeux chaque centimètre de goudron qui s’éclaire.

Encore 2m. Toute la rue qui longe ma terrasse est maintenant baignée de lumière. Les passants clignent des yeux.
Mon café est fini, mes doigts ont gelé.

75 cm. Je referme la fermeture déjà fermée de ma veste. A ma gauche, Esteban abandonne; Il quitte sa chaise et entre dans le café. Je reste seule dans la glace. Les épaules crispées, je souffle sur mes mains, agite les doigts de pieds. Tenir encore quelques secondes.

Et dans un éclair, le bord droit de ma table s’illumine, puis toute la table s’enflamme. Première caresse sur la joue. Aveuglement. Les cuisses de mon jean prennent feu, la droite, puis la gauche. Mes épaules retombent. Mon torse se déploie dans la fournaise noire de ma veste. La peau de mes joues, les cheveux de mon crâne, les os de mon nez boivent le feu du soleil.

Le monde est bleu, le ciel est beau.
Je me laisse glisser dans la chaleur voluptueuse. C’est mon dernier bain … de soleil.
 
Octobre
 
credit photo : LaFlyingVaca

1 commentaire sur “Prendre un bain

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